Appel à texte sur le thème de l’épidémie
Le club d’écriture « Les Yeux fermés » lance un appel à texte autour de l’épidémie, la contagion et de la mise en quarantaine :
« Dédiée à l’imaginaire et à la pratique de l’écriture créative, l’association Les Yeux Fermés lance un appel à texte sur le thème de l’épidémie.
Les épidémies ont largement inspiré les auteurs dans de nombreux genres littéraires. Quelques exemples : La peste, L’amour au temps du choléra, Le Fléau, Pandémia, Le hussard sur le toit, U4…
A votre tour de nous raconter votre épidémie réelle ou fantasmée. Epidémie bactérienne, virale, informatique, rire ou comportement contagieux, le choix est libre. Exorcisez nos peurs individuelles ou collectives, détournez-les, réenchantez notre quotidien dans un pays confiné, sauvez ou détruisez l’humanité, soyez créatifs, laissez courir vos plumes et envoyez-nous vos textes.
Pour cette fiction, nous n’imposons pas de contraintes quant à la forme ou au genre littéraire. Histoires courtes, scène unique, extrait de journal intime, style épistolaire ne sont que des exemples. Toute forme de textes est acceptée.
Les meilleurs textes seront lus à voix haute dans l’émission Souffleurs d’histoires et diffusés par la radio associative lorientaise Radio Balise. »
Contact : lesyeux.fermes@yahoo.fr
www.association-lesyeuxfermes.fr
AVANT LA NUIT
«Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin s’esquivent» — Aragon, sauce 2020
I.
Comme on lance une bouteille à la mer, je te soumets une trame qui prolongerait notre année ratatinée.
Seule règle, si tu veux te prêter au jeu: tu dois te laisser pénétrer par ce que je te dis.
Par chaque mot que je te dis.
OK?
De prime abord, admettons que l’air du temps est devenu irrespirable pour nous, vivant dans un monde mis sous cloche. Où les consignes de sécurité, répétées ad nauseam, sont devenues un bruit blanc qui ne trompe plus personne. Tous ne le disent pas encore, mais chacun, chacune est habité par la certitude qu’au mieux les gesticulations sanitaires qu’on nous prescrit ne pourront que retarder l’inévitable. Disons-le sans détour, il n’y aura pas de molécule de la rédemption. La guerre contre le nanotitan est désormais ingagnable.
Malgré tout, en bons soldats du stoïcisme, nous avons serré les dents, rompu tous les contacts, et fait contre mauvaise fortune bunker. Nous sommes devenus des êtres de chair privés d’êtres chers, de peur que l’affection ne devienne infection.
Il est pourtant établi que chaque être humain a besoin d’être touché 14 fois par jour.
Quatorze fois. En moyenne.
Vois l’impossibilité du rattrapage, toutes ces carences en caresses qui s’arc-boutent en nous. Pendant que ce foutu sang chaud continue à couler, couler.
Nous sommes tuméfiés de redondances et recrachés en coquilles vides, chancelants dans le brouillard, comme des pugilistes de l’intangible laissés KO debout dans un hiver épidermique.
Corsetés dans une suspicion permanente, nous sommes en train d’éluder l’expérience réelle des corps humains, tout enfermés qu’ils sont dans leurs enclos respectifs, « pour leur bien », nous dit-on. Revenons-en, et revenons à l’essentiel, je veux dire à notre premier rapport au monde.
II.
Parlons :
de l’épiderme, nu ;
de l’eau, chaude ;
et du savon, salvateur.
Devenons un virus cherchant un autre corps, toi et moi enchevêtrés dans l’alcôve moite de la baignoire. Tu le pressens, l’effet de serre de mes cuisses autour de ta taille et le velouté de mes longues phalanges souples qui glissent dans la mousse vers tes seins ? Elles sont à deux doigts de frôler ton trapèze apaisé, te déposant ébouriffée de soupirs, un effleurement à la fois.
Avant la nuit, au bord de ce gouffre sans fin, tu pourras refaire l’amour. Celui-là même qui fut dé-fait. Vaincu. Viré. Et ce sera ta dernière chance. Voici venu le temps de dire non !, d’arracher le masque, de devenir hardie. Largue cette distanciation qui te réduit en mascotte de la Santé publique, ou, pire, en future centenaire timorée. Deviens une kamikaze de l’amour, victime éhontée et subversive.
Fais comme il te plaît, débride la plaie luisante de ton désir. Prends-moi, surprends-toi. Et extirpons-nous de ce monde en perdition pour retomber côte à côte, insulaires échappés dans le rêve de l’une et l’autre.
Chacun de mes mots se dépose en toi.
Dernière fois.
Avant la nuit.
Quelque chose t’arrête encore…?