Un historien à Lorient

Dans une vie antérieure, j’étais Professeur agrégé d’histoire et Docteur en histoire. J’ai exercé pendant cette période désormais révolue au Lycée de Kerneuzec, à Quimperlé, pendant 6 années. Une période passionnante où j’ai rencontré de très nombreux élèves possédant un très grand esprit de curiosité et un goût pour le travail bien fait.

Dans ma nouvelle vie, je suis écrivain – mais que sur internet – sur mon site https://un-historien-a-lorient.fr .

Ce site attire près de 10 000 lecteurs différents par an. Pour vous donner un exemple, mes dernières recherches portant sur les réserves picturales de la Ville de Lorient, ont attiré plus de 220 lecteurs en une semaine, sur un sujet a priori confidentiel :

https://un-historien-a-lorient.fr/bouquet-23-la-collection-picturale-du-musee-municipal-de-la-ville-de-lorient-partie-2/

Ces 220 lecteurs différents ont passé en moyenne plus de 5 minutes sur la page, ce qui dépasse les standards habituels d’internet, les lecteurs ayant l’habitude de zapper assez vite d’une page à l’autre. Mes lecteurs viennent donc pour lire.

Le musée de la Compagnie des Indes est un concept très original.
J’aime les objets de qualité qui sont mis en avant dans ce musée, notamment les seize fantastiques maquettes de Jean Delouche, créées entre 1976 et 1989, et qui tutoient le sublime par leur très haute technicité de réalisation.
Je suis d’ailleurs membre de la Société des Amis du Musée de la Compagnie des Indes
Mais c’est là l’histoire d’une entreprise de spéculation financière à partir d’une aventure commerciale à vocation mondiale, dont l’histoire s’est arrêtée en 1795, avec encore quelques soubresauts judiciaires dans les années suivantes

Ce qui m’intéresse, c’est l’histoire des Lorientaises et des Lorientais qui ont construit la Ville et y ont vécu au quotidien, en dehors de l’enclos de la Compagnie des Indes.
Je suis en train de construire, et l’ouvrage avance à grands pas, une histoire culturelle des habitantes et des habitants de la ville de Lorient de 1790 à 2020.

Pour résumer à très grands traits
Avant 1914, il existait à Lorient une très grande effervescence culturelle qui se manifestait par une créativité poétique, littéraire au sens large, picturale, technique et scientifique, que ce soit dans le domaine de la langue française ou dans le domaine de la langue bretonne.
J’en donnerai exemple : la revue Kloc’hdi Breiz ( Le clocher breton ), une revue mensuelle et bilingue créée à Lorient en 1895 par la poétesse Madeleine Desroseaux et son mari André Degoul. Ce cénacle – car c’en était un – réunissait tout ce qui comptait comme poètes, prosateurs, musiciens, historiens, scientifiques de Lorient, et il était loin d’être le seul sur la place de Lorient.
Lorient était de 1795 à 1914 un espace de sociabilités et de créativité intellectuelle très abouti.

La guerre de 1914 1918 va briser la culture bretonne du XIXème siècle qui disparaît à la fois par la perte de tant d’hommes jeunes dont la majorité parlaient breton et sous le rouleau compresseur de la centralisation culturelle de la Troisième république qui impose – au nom de l’égalité et de la libération de carcans religieux très prégnants – le français dans les écoles en Bretagne, mais pas que le même processus étant à l’oeuvre en Alsace, etc. et dans les colonies française d’Afrique ou d’Extrême-Orient.

Une culture bretonne brisée également avec la mort du sublime poète qu’est Jean-Pierre Calloc’h, né en1888 à Groix et tombé au combat en Lorraine en 1917, un homme qui est à la fois un poète de langue bretonne,

Me zo ganet é kreiz er mor
Tèr lèu ér méz;
Un tiig gwenn duhont em-es,
Er benal ‘gresk etal en nor
Hag el lann e hol en anvez.
Me zo ganet é kreiz er mor,
E bro Arvor

Me zad e oé, èl é dadeu,
Ur matelod;
Béùet en-des kuh ha diglod
– Er peur ne gan dén é glodeu –
Bamdé-bamnoz ar er mor blod.
Me zad e oé, el e dadeu,
Stleijour-rouédeu.

mais dont la musicalité dans la traduction française est tout aussi incomparable.

Je suis né au milieu de la mer
Trois lieues au large;
J’ai une petite maison blanche là-bas,
Le genêt croît près de la porte,
Et la lande couvre les alentours.
Je suis né au milieu de la mer,
Au pays d’ Armor.

Mon père était comme ses pères
Un matelot.
Il a vécu obscur et sans gloire,
– Le pauvre, personne ne chante ses gloires –
Tous les jours, toutes les nuits sur la mer souple
Mon père était comme ses pères,
Traîneur de filets.

Les milieux intellectuels bretons vont pour partie revendiquer – pour simplifier à l’extrême – après 1918 une indépendance de plus en plus grande à l’égard de la France. Le plus célèbre d’entre eux est Loeiz Herrieu, un très grand écrivain – un paysan autodidacte, il faut le souligner – qui va travailler sur la constitution d’une Anthologie de la littérature bretonne des origines à nos jours, titre d’une conférence qu’il a donnée à Lorient en 1938 et dans laquelle il prononce une phrase très révélatrice de son ouverture d’esprit, lui l’homme de la terre, de la sagesse paysanne, et des compromis pragmatiques face au réel :

« Une forte culture bretonne et une exacte conscience de notre valeur humaine ne sont ni exclusives ni destructives ; et l’amour de ce qui nous appartient en propre n’a pas besoin de s’alimenter de la haine de ce qui est aux autres ».

De 1918 à 1939 l’effervescence artistique et culturelle à Lorient repart de plus belle. Nombreuses et nombreux sont les créations qui portent sur Lorient, le Morbihan et la Bretagne.

1947 à Lorient annonce la reconstruction physique et psychologique d’une ville meurtrie – et le terme est faible, anéantie serait plus exact – par la guerre et par les alliés anglais et américains, ne l’oublions pas, et ce dans un contexte de début officiel de la guerre froide.

L’idéal des élites dirigeantes est à la politique de la table rase, et les conditions de destruction totale de la ville ne font que favoriser cette nouvelle orientation. Cette politique de la table rase se double d’une volonté d’effacement de la culture bourgeoise d’avant 1914 et de l’entre deux-guerres, à savoir la culture artistique et littéraire, opiums du peuple.

On a donc assigné à l’effervescence culturelle lorientaise française et bretonne dite « bourgeoise » une place dans les réserves picturales de la Ville de Lorient.

Pour ces œuvres ne concernant que la Bretagne, qui sont réléguées dans les réserves picturales de la Ville de Lorient – il y en a un peu plus de 300, oui trois cents – dont de nombre d’entre elles n’ont jamais été montrées depuis 60 ans, ou montrées au compte-goutte, essentiellement en dehors de Lorient, à Pont-Aven, Sucinio, Le Faouët, Quimper, Rennes.

C’est cette effervescence « bourgeoise » au sens de la terminologie marxiste, mais en fait tout simplement française, et surtout fière de sa culture bretonne, de ses créateurs artistiques qui n’ont cessé de valoriser leur amour des sublimes paysages bretons, de leur amour du patrimoine breton qu’il soit religieux ou profane, de leur amour de la culture des danses bretonnes en train de disparaître, de leur amour pour
la relation entre l’homme et la mer, de ses bateaux construits avec un respect et une efficacité incomparables qui en font des navires très adaptés aux conditions de pêche locale, un amour de ses paysans marins qui risquaient leur vie en partant tous les jours en mer,
de leur amour des costumes bretons, des pardons toujours vivaces dans les années trente, bref tout ce qui faisait l’identité de la population bretonne des campagnes et des faubourgs ouvriers de Lorient, c’est tout ceci que je suis en train d’exhumer des réserves de la Ville de Lorient.

Yves Berthelot
Ecrivain – conférencier
https://un-historien-a-lorient.fr

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