Les petites nouvelles d’Ariane
Pendant le confinement, j’ai suivi des ateliers d’écriture virtuelle. Depuis, je continue toutes les semaines sur un thème soumis par un membre du club. Je vous les partagerai avec plaisir, n’hésitez pas à laisser des commentaires…
Barbe Bleue
Cela faisait une bonne année que les noces avaient eu lieu. Des fêtes somptueuses où avait été convié tout le voisinage. Les invités avaient été un peu surpris par la mariée. Elle était fort jolie, certes, et portait une robe magnifique en soie sauvage, dont le corselet de dentelle était réhaussé de diamants et émeraudes qui mettaient en valeur ses yeux. Mais rien à voir avec les flamboyantes créatures que Barbe Bleue avait l’habitude de côtoyer et d’exhiber à ses côtés. On chuchotait même qu’il avait déjà été marié, mais nul n’avait jamais vu son, ou peut-être, ses épouses. C’était le grand mystère autour de cet homme, au physique peu avenant vu cette espèce de barbe bleue plus ou moins hirsute qu’il arborait. Mais, comme manifestement il n’était pas toujours commode et qu’il était, tout aussi manifestement, immensément riche, personne ne s’avisait de le critiquer. En tout cas, pas ouvertement. Un seigneur à l’ancienne, quoi ! On pouvait comprendre qu’il attirât un certain type de femme attirées par sa fortune car il était généreux.
Mais son épouse était si différente des autres ! Elle attirait par une sorte de rayonnement intérieur, accentué par son regard vert.
Ce jour là, il annonça à son épouse qu’il partait en voyage pour une durée, non définie, mais sans doute assez longue.
« Durant mon absence, vous êtes libre de faire ce que vous souhaitez, vous aurez à disposition tout l’argent dont vous aurez besoin, quelles que soient vos fantaisies. Vous pourrez inviter des ami(e)s, organiser des fêtes si vous le souhaitez. Je vous confie toutes les clés de ce château, vous pouvez aller partout. Sauf entrer dans la pièce qu’ouvre cette petite clé. JE VOUS L’INTERDIT »
Sa femme ne fit aucun commentaire, se contentant de dire qu’elle suivrait ses directives. Et il partit.
Mais Mélise avait oublié d’être idiote et elle se disait que si son mari lui interdisait une seule pièce, c’est qu’il y cachait quelque chose de forcément inavouable. Il était possible également que ce soit juste pour tester sa curiosité. Mais, ce qu’il ignorait d’elle, c’est qu’elle avait déjà eu plusieurs vies, et, que de ses vies passées, elle avait acquis certains dons de magie, et l’art du camouflage.
Elle examina la petite clé, n’y vit rien de particulier. Ce qui attisa sa méfiance. Que se passerait-il si elle introduisait cette clé dans la serrure ? Comme elle connaissait déjà l’utilisation des machines 3D, inconnue là où elle se trouvait, elle se confectionna donc plusieurs doubles. Ensuite, pour dissimuler sa silhouette, elle se fit une sorte de grande cape style Belphégor et se grandit avec une perruque à la Marie-Antoinette. Elle utilisa également un produit à base de javel pour dissimuler sa propre odeur. Des verres foncés et des gants complétèrent sa tenue.
Ainsi camouflée, elle se dirigea vers la petite porte, et introduisit une des clés dans la serrure, tourna pour ouvrir. Puis, elle referma sans avoir ouvert la porte, sortit la clé de la serrure et l’examina. Elle remarqua des entailles rouges. Ainsi, la serrure était piégée. Elle sortit donc un autre de ses doubles, et cette fois-ci, ouvrit doucement la porte, passa la tête, vit un couloir assez long, peu éclairé. Elle entra à pas prudents. Allait-elle refermer à clé pour ne pas risquer d’être surprise, ou laisser ouvert en cas de besoin de fuite ? Elle referma, et marcha lentement. Bizarrement, la lumière changeait au fur et à mesure qu’elle avançait. Elle était à peine plus forte, mais les tons se modifiaient. Sous son accoutrement, elle avait chaud, mais savait que c’était vraisemblablement une question vitale de le garder.
Soudain, elle parvint dans ce qui lui parut être un grand atelier de tissage. Sidérée, elle s’arrêta pour faire du regard le tour de cette pièce immense. Ce qu’elle voyait était stupéfiant. Elle se serait attendu à n’importe quoi, mais pas à cela.
Les murs étaient tapissés par une dizaine de pièces somptueuses aux sujets les plus divers, mais le travail était d’une délicatesse inouïe, les couleurs de toute beauté semblaient avoir été réalisées en mélangeant des fils de différentes textures pour donner un chatoiement dans certains cas extrêmement doux, à d’autres endroits il montrait la dureté de minéraux, le fluide de l’eau de rivière ou d’océan. Deux pièces en particulier l’attirèrent : une dans les tons de bleu-vert canard, l’autre dans des tons mélangés de rouge, orangé et ocre. Pas de sujet défini, non, style impressionniste.
Il n’y avait que deux métiers dans la pièce, et deux tabourets. Elle s’approcha et examina les deux tapisseries en cours. L’une représentait des fleurs, en bordure et en central. La seconde représentait un tableau moghol, avec des personnages, des animaux, des végétaux. Le tout stupéfiant de vie. On avait vraiment l’impression que les uns ou les autres allaient se mettre en mouvement. Ces deux tapisseries inachevées laissaient aussi pressentir de véritables œuvres d’art, tout comme celles accrochées aux murs.
Un détail attira son regard : sur l’un des tabouret, son œil exercé repéra un poil bleu. Du coup, elle examina les alentours, et en vit trois ou quatre autres. Barbe-Bleue ! Elle chercha minutieusement, mais elle n’en vit aucun d’une autre teinte. Ainsi, c’était lui qui accomplissait tout ceci !
Elle ressortit, referma soigneusement la porte, vérifia que tout allait bien. Elle savait que grâce à son camouflage elle n’avait laissé aucune trace. Mais il lui fallait réfléchir à tout ceci. Pourquoi Barbe-Bleue se cachait-il ?
Elle dormit peu cette nuit-là. A l’aube, elle avait compris pourquoi ce seigneur se dissimulait ainsi. Comment un homme comme lui, respecté et craint aurait-il pu avouer ce genre de penchant, ô combien féminin selon les critères sociaux ? Impensable ! Mais elle avait trouvé le moyen de dévoiler cet extraordinaire travail, sans révéler son auteur, et sans encourir sa colère, pensait-elle.
La nuit suivante, elle retourna dans l’atelier, sortit les deux tapisseries qu’elle avait le plus aimées, les emballa comme si elles arrivaient de loin, les mit dans un véhicule, et le lendemain, elle partit dans une autre ville pour se les faire expédier. Lorsqu’elles arrivèrent quelques jours plus tard, elle fit croire que c’était son mari qui les avait envoyées, et les fit accrocher. Une dans le grand salon, l’autre dans sa propre chambre.
Lorsque Barbe-Bleue rentra, il lui redemanda toutes les clés, examina soigneusement la petite clé, parut surpris, mais ne fit aucune réflexion.
Quant à Malise, elle lui annonça qu’elle avait organisé une grande soirée pour son retour, et qu’il y aurait des surprises. Elle le suppliait donc de ne surtout pas entrer dans le salon, ni dans sa chambre à elle. Amusé, il promit.
Elle était superbe, moulée dans un fourreau bleu-canard, aux emmanchures américaines. Des pendentifs en émeraude ornaient ses oreilles.
Juste avant leur entrée dans le salon, elle lui avait chuchoté à l’oreille :
« Quoi qu’il arrive, ne montrez aucune surprise ».
Ils entrèrent dans le salon, et elle sentit son sursaut à la vue de la tapisserie. Tenant son bras, elle le serra, il se maîtrisa. Durant toute la soirée, les invités montrèrent leur admiration devant l’œuvre qu’ils croyaient avoir été achetée à l’étranger. Malise sentait Barbe Bleue se détendre peu à peu. Il appréciait cette admiration, et se sentait malgré tout en sécurité.
Lorsqu’ils se retrouvèrent seuls, Barbe-Bleue voulut la questionner. Lui mettant la main sur la bouche, elle l’entraîna dans sa chambre où était accrochée la seconde tapisserie.
« Comment avez-vous fait ? Lorsque vous m’avez rendu les clés, tout était normal !
– Mon cher époux, vous aviez vos petits secrets. Permettez que je garde les miens. Mais reconnaissez que l’admiration que tous ont porté à vos œuvres, sans savoir qu’elles étaient vôtres, vous a fait plaisir . Et franchement, ne pas montrer tout ceci, quel gâchis, non ? Désormais, de temps à autre, nous pourrons en sortir une de sa cachette et montrer sa splendeur. Vous rencontrez tant d’artistes lors de vos voyages ! Et ainsi, termina-t-elle malicieusement, je pourrai également en profiter. J’aime aussi voir le reste du monde.»
Il ne put qu’acquiescer. La nuit fut douce et longue
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